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sans fiel, sans envie. Quand une chose ou un homme lui déplaisait, ou ne valait pas la peine qu’il s’y arrêtât plus longtemps, il se détournait et portait son regard ailleurs, dans ce vaste univers où il n’avait qu’à choisir ; non pas indifférent, mais non pas attaché ; curieux avec insistance, avec sollicitude, mais sans se prendre au fond ; bienveillant comme on se figure que le serait un dieu ; véritablement olympien : ce mot-là, de l’autre côté du Rhin, ne fait pas sourire. Paraissait-il un poëte nouveau, un talent marqué d’originalité, un Byron, un Manzoni, Goethe l’étudiait aussitôt avec un intérêt extrême et sans y apporter aucun sentiment personnel étranger ; il avait l’amour du génie. Pour Manzoni, par exemple, qu’il ne connaissait nullement, quand le Comte de Carmagnola lui tomba entre les mains, le voilà qui s’éprend, qui s’enfonce dans l’étude de cette pièce, y découvrant mille intentions, mille beautés, et un jour, dans son recueil périodique (sur l’Art et l’Antiquité ), où il déversait le trop plein de ses pensées, il annonce Manzoni à l’Europe. Quand une Revue anglaise l’attaqua, il le défendit, et par toutes sortes de raisons auxquelles Manzoni n’avait certes pas songé. Puis, quand il vit M. Cousin et qu’il sut que c’était un ami de Manzoni, il se mit à l’interroger avec détail, avec une insatiable curiosité, sur les moindres particularités physiques et morales du personnage jusqu’à ce qu’il se fût bien représenté cet objet, cet être, cette production nouvelle de la nature qui avait nom Manzoni, absolument comme lui, botaniste, il aurait fait