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de même que de temps en temps je contemple les gravures d’après de grands maîtres italiens. Car de petits êtres comme nous ne sont pas capables de garder en eux la grandeur de pareilles œuvres ; il faut que de temps en temps nous retournions vers elles pour rafraîchir nos impressions. On parle toujours d’originalité, mais qu’entend-on par là ? Dès que nous sommes nés, le monde commence à agir sur nous, et ainsi jusqu’à la fin, et en tout ! Nous ne pouvons nous attribuer que notre énergie, notre force, notre vouloir ! Si je pouvais énumérer toutes les dettes que j’ai faites envers mes grands prédécesseurs et mes contemporains, ce qui me resterait serait peu de chose. Ce qui est important, c’est l’instant de notre vie où s’exerce sur nous l’influence d’un grand caractère. Lessing, Winckelmann et Kant étaient plus âgés que moi, et il a été de grande conséquence pour moi que les deux premiers agissent sur ma jeunesse, et le dernier sur ma vieillesse ; et aussi que Schiller fut bien plus jeune que moi et dans toute la verdeur de son activité, lorsque je commençais à me fatiguer du monde. Puis il n’a pas été moins important pour moi de voir sous mes yeux les débuts des frères Humboldt et Schlegel. J’ai recueilli par là d’inappréciables avantages. »

Nous parlâmes ensuite de l’influence qu’il avait à son tour exercée sur les autres. Je rappelai Bürger, disant que sur un talent aussi inné, une influence de Goethe n’était guère possible.

« Bürger, me dit-il, avait bien avec moi une certaine parenté dans le talent[1], mais son éducation morale prenait ses racines dans un tout autre sol et lançait des ra-

  1. Ses ballades sont aussi populaires que celles de Goethe.