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corde ! Comme toutes leurs énergies se développent, et quels adroits tireurs ce sont ! Ils tiraient habituellement, à une distance de soixante ou quatre-vingts pas, sur une feuille de papier, collée à un mur d’argile détrempée ; ils tiraient vivement l’un après l’autre et laissaient leurs flèches fixées au but. Et il n’était pas rare que sur quinze flèches cinq eussent touché le rond du milieu, large comme un thaler ; les autres étaient tout à côté. Quand tout le monde avait tiré, chacun allait reprendre sa flèche et on recommençait le jeu. J’étais alors si enthousiaste de ce tir à l’arc, que je pensais que ce serait rendre un grand service à l’Allemagne que de l’y introduire, et j’étais assez sot pour croire que ce fût possible. Je marchandai souvent un arc, mais on n’en vendait pas au-dessous de vingt francs, et où un pauvre chasseur pouvait-il trouver une pareille somme ? Je me bornai à une flèche, comme l’instrument le plus important et travaillé avec le plus d’art ; je l’achetai dans une fabrique de Bruxelles pour un franc, et avec un dessin, ce fut le seul butin que je rapportai dans mon pays[1] »

« — Voilà qui est tout à fait digne de vous, répondit Goethe. Mais ne vous imaginez pas que l’on pourrait rendre populaire ce qui est beau et naturel ; ou du moins il faudrait pour cela avoir beaucoup de temps et recourir à des moyens désespérés. Je crois facilement que ce jeu du Brabant est beau. Notre plaisir allemand du jeu de quilles paraît, en comparaison, grossier, commun, et il tient beaucoup du Philistin. »

« — Ce qu’il y a de beau au tir de l’arc, dis-je, c’est qu’il développe le corps tout entier et qu’il réclame l’em-

  1. Il s’était engagé comme chasseur dans la guerre de 1814.