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inconnues ailleurs. Il leur supposait même d’abord une maturité d’âge qu’il mesurait à l’étendue de leurs jugements, tandis que cette étendue tenait bien plutôt chez eux au libre et hardi coup d’œil de la jeunesse, Ce fut surtout vers 1827 que ce vif intérêt de Goethe pour la nouvelle et jeune France se prononça pour ne plus cesser. En 1825, il hésitait encore, et M. Cousin, dans une visite qu’il lui fit à Weimar, ayant voulu le mettre sur le chapitre de la littérature en France, ne put l’amener bien loin sur ce terrain encore trop neuf.

Mais en 1827, lorsque M. Ampère le visita, sa disposition d’esprit était bien changée ; Goethe, averti par le Globe, était au fait de tout, curieux et avide de toutes les particularités à notre sujet. Dans une lettre adressée à madame Récamier le 9 mai (1827) et publiée quelques jours après dans le Globe par suite d’une indiscrétion non regrettable, le jeune voyageur s’exprimait en ces termes, qui sont à rapprocher de ceux dans lesquels Eckermann nous parle des mêmes entretiens :

« Goethe, écrivait M. Ampère, a, comme vous le savez, quatre-vingts ans. J’ai eu le plaisir de dîner plusieurs fois avec lui en petit comité, et je l’ai entendu parler plusieurs heures de suite avec une présence d’esprit prodigieuse : tantôt avec finesse et originalité, tantôt une éloquence et une chaleur de jeune homme. Il est au courant de tout, il s’intéresse à tout, il a de l’admiration pour tout ce qui peut en admettre. Avec ses cheveux blancs, sa robe de chambre bien blanche, il a un air tout candide et tout patriarcal. Entre son fils, sa belle-fille, ses deux petits enfants, qui jouent avec lui, il cause sur les sujets les plus élevés. Il nous a entretenu de Schiller, de leurs travaux communs, de ce que