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frais d’un pareil voyage ne sont rien à côté des immenses avantages qu’il donnerait et des mésaventures qu’il préviendrait. Et ensuite, quand on a monté une bonne pièce, un bon opéra, on devrait le donner à courts intervalles, tant qu’il attire le monde et remplit assez la salle. De même, quand on reprend un vieil ouvrage, qui dort depuis des années et qui, pour être joué avec succès, a besoin aussi d’être de nouveau étudié avec soin, il faut le jouer de suite et fréquemment, tant que le public s’y intéresse. Mais on a la manie de chercher toujours du nouveau, on joue une, au plus deux fois une pièce ou un opéra dont l’étude a coûté des peines incroyables, et entre ces deux représentations, on laisse s’écouler six à huit semaines, de telle sorte qu’une nouvelle étude est encore nécessaire ; c’est là vraiment vouloir perdre le théâtre, et c’est un impardonnable abus des forces des acteurs. »

Goethe semblait considérer cette question comme très-importante, et elle paraissait lui tenir bien à cœur, car il y mettait une chaleur que dans sa grande tranquillité on lui voit rarement.

« En Italie, continua-t-il, on donne le même opéra tous les soirs pendant quatre et six semaines, et les grands enfants d’Italie ne demandent pas du tout de changement. Le Parisien instruit voit les pièces classiques de ses grands poètes si souvent, qu’il les sait par cœur, et son oreille connaît l’accent de chaque syllabe. Ici, à Weimar, on m’a bien fait l’honneur de donner mon Iphigénie et mon Tasso, mais combien de fois ? À peine tous les trois ou quatre ans une fois. Le public les trouve ennuyeux. Je le crois bien ! Les acteurs ne sont pas exercés à les jouer, et le public n’est pas exercé à les en-