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qui nous ont beaucoup aidés. Pensez un peu : l’ennuyeuse période du goût français venait de finir ; le public était encore tout frais pour les impressions ; Shakspeare produisait ses premiers et vifs effets ; les opéras de Mozart étaient jeunes, et enfin chaque année se jouaient ici, à Weimar, les pièces de Schiller, montées par lui-même, et apparaissant dans leur première gloire ; vous vous imaginez sans peine qu’avec de pareils mets, vieux et jeunes étaient traitables, et que nous avions toujours un public reconnaissant. »

« — Les contemporains, dis-je, ne peuvent vanter assez l’excellence du théâtre de Weimar dans ce temps.

« — Je ne peux le nier, il avait de la valeur ! La cause principale de ce succès, c’était la liberté absolue que me laissait le grand-duc ; je pouvais couper et rogner comme je voulais. Je ne cherchais pas à avoir des décorations splendides et une garde-robe éclatante, non, je cherchais seulement les bonnes pièces. Depuis la tragédie jusqu’à la farce, tout genre m’était bon ; mais pour trouver grâce, une pièce devait avoir une valeur. Qu’elle eût de la grandeur et de la solidité, ou de la grâce et de la gaieté, ce n’était pas assez, il fallait que ce fût une œuvre consistante, une œuvre en bonne santé ; sentimentalités larmoyantes, faiblesses maladives étaient exclues une fois pour toutes, ainsi que les horreurs repoussantes et tout ce qui attente à la pureté des mœurs ; par tous ces spectacles j’aurais perdu acteurs et public. Au contraire, les bonnes pièces relevaient les acteurs. Car l’étude et la pratique continuelle de la perfection doivent nécessairement faire quelque chose de l’être que la nature n’a pas oublié. Je me maintenais aussi en contact perpétuel avec les acteurs. Je dirigeais les premières