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vous le pensez bien, j’ai vu passer dans mon âme plus d’un souvenir du temps passé, j’ai revu Schiller et nos longues années de travail commun, et aussi maint cher disciple que j’ai vu naître et grandir. Tout cela n’a pas été sans me remuer profondément, et aussi je veux aujourd’hui bien sagement garder le lit. »

Je le louai de sa prudence. Cependant il ne me paraissait pas du tout affaibli ou affecté ; au contraire, il me semblait tout à fait à son aise et l’esprit fort serein. Cette résolution de garder le lit me parut plutôt être une vieille ruse de guerre, qu’il a coutume d’employer dans les événements extraordinaires, lorsqu’il craint une grande affluence de visiteurs[1].

Il me pria de m’asseoir sur une chaise près de son lit et de rester un instant. « J’ai beaucoup pensé à vous et je vous ai plaint, me dit-il. Qu’allez-vous faire de vos soirées ? »

« — Oui, répondis-je, j’ai en effet une grande passion pour le théâtre. Lorsque, il y a deux ans, je vins ici, sauf trois ou quatre pièces que j’avais vues à Hanovre, je ne connaissais pour ainsi dire rien. Tout m’était nouveau, acteurs et pièces, et comme, d’après vos conseils, je me suis abandonné entièrement à mes impressions, sans chercher à penser et à réfléchir sur les sujets, je peux dire en toute vérité que pendant ces deux hivers le théâtre m’a fait passer les heures les plus douces et les plus charmantes dont j’aie jamais joui. Aussi j’étais tellement entiché de théâtre, que non-seulement je ne manquais aucune représentation, mais que je m’étais fait admettre aux répétitions, et ce n’est pas encore assez, car parfois,

  1. Et de paroles inutiles — Voir sa lettre à Zelter du 27 mars 1825.