Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

motif pour une activité si multiple et il se bornerait à une seule science. La théorie de Newton lui sembla une des grandes erreurs de son siècle ; il voulut la combattre, et consacra à cette lutte des années entières de fatigues et de peines. De même pour sa Théorie des métamorphoses ; il n’aurait pas écrit ce modèle de dissertation scientifique, si ses contemporains avaient été sur la voie qui conduit aux vérités qu’il a démontrées. Et le même raisonnement explique la variété de ses travaux poétiques. Goethe n’aurait pas écrit de roman, si sa nation avait déjà possédé un Wilhelm Meister, et il se serait très-probablement consacré à la seule poésie dramatique[1]. On ne peut pressentir ce qu’il aurait produit, livré ainsi à un seul art, mais ce qui est certain, c’est que, tout examiné, un homme de bon sens ne souhaitera jamais que Goethe eût été empêché d’exécuter tout ce qu’il a plu à son Créateur de le pousser à accomplir.

Mardi, 22 mars 1825.

Cette nuit, un peu après minuit, j’ai été réveillé par le cri : Au feu ! Le théâtre brûlait ; j’y ai couru, tout était en flammes ; les pompes travaillaient, mais en vain. J’aperçus, placé aussi près de l’incendie que la flamme le permettait, un homme en manteau et en casquette militaire, fumant un cigare de l’air le plus tranquille. Au premier coup d’œil, on l’aurait pris pour un curieux oisif, mais on s’approchait souvent de lui pour recevoir des ordres qu’il donnait rapidement et qui étaient aussitôt exécutés. C’était le grand-duc Charles-Auguste. Il avait

  1. Ou plutôt à l’épopée. Goethe avoue lui-même que sa nature paisible et conciliante le portait peu vers les agitations et les catastrophes rapides du drame.