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temps qu’à titre de poëte. Goethe m’a dit : « On croit avoir présent devant soi ce que je décris dans mes poésies ; j’ai dû cette qualité à l’habitude prise par mes yeux de regarder les objets avec attention, ce qui m’a donné aussi beaucoup de connaissances précieuses. »

On ne doit pas trop élargir le cercle de ses connaissances. « Ce sont les naturalistes, disait Goethe, qui sont surtout entraînés à ce danger, parce que, pour pouvoir bien observer la nature, il faut posséder une grande et harmonieuse variété de connaissances. »

D’autres pèchent par l’excès contraire. « Ch. M. de Weber n’aurait pas dû écrire de musique sur le poëme d’Euryanthe, il aurait dû voir immédiatement que le sujet ne valait rien. C’est là une connaissance que doit posséder le compositeur. »

« En résumé, disait Goethe, l’art le plus grand, c’est de savoir se tracer une limite et de s’isoler. »

Tant que je restai près de lui, il chercha toujours à me contenir sur un seul point. Son conseil perpétuel était de me borner pour le moment à la poésie. Il me détournait de toute lecture et de toute étude étrangères à ce but. « J’ai dissipé bien trop de temps, disait-il un jour, à des objets qui n’appartenaient pas à ma profession. Lorsque je pense à ce que Lope de Vega a fait, le nombre de mes œuvres poétiques me paraît bien minime. J’aurais dû m’en tenir à mon vrai métier. Si je ne m’étais pas tant occupé des pierres, et si j’avais donné mon temps à des travaux meilleurs pour moi, je pourrais posséder une belle parure de diamants. » Il vante en cela son ami Meyer, qui, ayant consacré toute sa vie à l’étude exclusive de l’art, possède en ce genre les plus profondes connaissances : « J’ai aussi dans cette branche commencé de