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de lui apprendre à se bâtir une maison à elle, une maison du Nord, sur ses propres fondements, il aime à revenir de temps en temps à cette littérature d’un siècle qui, après tout, est le sien. On n’a jamais mieux défini Voltaire dans sa qualité d’esprit spécifique et toute française qu’il ne l’a fait ; on n’a jamais mieux saisi dans toute sa portée la conception buffonienne des Époques de la Nature ; on n’a jamais mieux respiré et rendu l’éloquente ivresse de Diderot ; il semble la partager quand il en parle : « Diderot, s’écrie-t-il avec un enthousiasme égal à celui qu’il lui aurait lui-même inspiré, Diderot est Diderot, un individu unique ; celui qui cherche les taches de ses œuvres est un philistin, et leur nombre est légion. Les hommes ne savent accepter avec reconnaissance ni de Dieu, ni de la Nature, ni d’un de leurs semblables, les trésors sans prix. » Mais ce ne sont pas seulement nos grands auteurs qui l’occupent et qui fixent son attention ; il va jusqu’à s’inquiéter des plus secondaires et des plus petits de ce temps-là, d’un abbé d’Olivet, d’un abbé Trublet, d’un abbé Le Blanc qui, « tout médiocre qu’il était (c’est Goethe qui parle), ne put jamais parvenir pourtant à être reçu de l’Académie. »

Cependant la France changeait ; après les déchirements et les catastrophes sociales, elle accomplissait, littérairement aussi, sa métamorphose. Goethe, qui connut et ne goûta que médiocrement madame de Staël, ne parait pas avoir eu une bien haute idée de Chateaubriand, le grand artiste et le premier en date