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laisse, de plus, entraîner à des productions misérables, sans s’en douter. Enfant, on faisait déjà des vers, jeune homme, on s’imagine que l’on peut quelque chose, mais on devient homme, on sent ce qu’est la perfection, et on frémit des années que l’on a perdues à des tentatives aussi vaines. D’autres n’arrivent jamais à la conception du parfait et à la connaissance de leur incapacité ; ceux-là produisent jusqu’à la fin des moitiés d’œuvres. Ce qui est certain, c’est que, si d’assez bonne heure on pouvait bien savoir quelle foule d’œuvres parfaites le monde renferme déjà, et tout ce qu’il faut pour placer à côté d’elles une œuvre égale, certainement, sur cent jeunes gens, qui composent des vers aujourd’hui, à peine un seul se sentirait assez de persévérance, de talent, de courage pour continuer sans trouble les travaux qui doivent le conduire au rang des maîtres. Bien des jeunes peintres n’auraient jamais pris un pinceau dans leur main, s’ils avaient su et compris d’assez bonne heure ce qu’a vraiment accompli un maître comme Raphaël. »

Nous parlâmes des tendances erronées en général, et Goethe dit :

« Ma tendance vers la pratique des arts plastiques était au fond erronée[1], car je n’avais pour cette pratique aucune disposition naturelle, et tout développement en ce genre était pour moi impossible. J’avais un sentiment délicat du pittoresque des sites, ce qui fit à mes débuts concevoir sur moi des espérances ; mais mon voyage en Italie a détruit tout le contentement que j’éprouvais devant mes œuvres ; je gagnai une vue plus large, mais je perdis cette facilité de travail qui me

  1. Jusqu’à quarante ans, Goethe a désiré et a espéré devenir un grand peintre. On a publié quelques gravures d’après ses dessins.