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semble que, pour entendre cette loi comme les Grecs, il ne faut s’y soumettre que pour les sujets peu compliqués, qui peuvent se développer en détail devant nos yeux dans le temps marqué ; si au contraire l’action est vaste et se passe en différents lieux, il n’y a aucune raison pour vouloir la renfermer en un seul endroit, d’autant plus que nos scènes actuelles nous permettent sans difficulté les changements de décorations.

Goethe en continuant à parler de lord Byron a dit : « Cette limite qu’il se posait, en observant les trois unités, convenait d’ailleurs à son naturel, qui tendait toujours à franchir toutes limites. Que n’a-t-il su aussi se poser des bornes morales ! C’est pour ne pas avoir eu cette puissance qu’il s’est égaré, et on peut dire avec justesse qu’il s’est perdu faute d’un frein, il s’ignorait trop lui-même. Sa vie était tout entière dans la passion de chaque jour, et il ne pesait pas, il ne savait pas ce qu’il faisait. Se permettant tout et n’accordant rien aux autres, il devait se perdre et soulever le monde contre lui. Dès le commencement, avec les Bardes anglais et les Critiques écossais, il blessa les meilleurs écrivains ; après cet écrit, seulement pour pouvoir vivre, il lui fallait reculer ; mais, dans ses ouvrages suivants, il continua son opposition et ses blâmes, il toucha l’État et l’Église. Cette manière de n’avoir égard à rien l’a poussé hors d’Angleterre, et l’aurait, avec le temps, poussé aussi hors de l’Europe. Il était partout à l’étroit, il jouissait de la liberté personnelle la plus illimitée, et il se sentait oppressé ; le monde lui était une prison. Son départ pour la Grèce n’a pas été une décision prise volontairement ; elle lui a été imposée par sa mésintelligence avec le monde. En se déclarant affranchi de toute tradition, de toute patrie, il a d’abord