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plus fort de jugement. Ses lettres sont le plus beau souvenir que je possède de lui, et elles font partie de ce qu’il a écrit de mieux. Je conserve parmi mes trésors sa dernière lettre comme une relique. » Goethe se leva et alla la chercher. » « Voyez et lisez, » dit-il en nous la donnant. La lettre était belle, et écrite d’une main ferme. Elle renfermait un jugement sur les notes ajoutées par Goethe à la traduction du Neveu de Rameau, notes qui exposent l’état de la littérature française d’alors, et que Goethe avait communiquées en manuscrit à Schiller pour qu’il les examinât. Je lus la lettre à Riemer. « Vous voyez, dit Goethe, quel jugement fort et frappant ! et comme l’écriture ne trahit aucun signe d’affaiblissement ! C’était une créature magnifique ! et c’est en pleines forces qu’il nous a quittés ! Cette lettre est du 24 avril 1805, Schiller est mort le 9 mai[1]. »

Nous contemplâmes tour à tour la lettre, admirant la clarté de l’expression et la beauté de l’écriture ; Goethe consacra encore à son ami mainte parole d’affectueux souvenir, jusqu’à ce qu’il se fit tard. Onze heures étaient arrivées, nous partîmes.

Jeudi, 24 février 1825.

« Si j’avais encore à diriger le théâtre, disait Goethe ce soir, je ferais jouer le Doge de Venise de Byron. La pièce est, il est vrai, trop longue, et devrait être abrégée ; mais il ne faudrait rien couper et biffer ; voici comment on ferait : On reproduirait chaque scène, mais on l’abrégerait ; la pièce serait ainsi diminuée, sans qu’on la gâtât par des changements, et elle gagnerait beaucoup en

  1. Voir la Correspondance de Goethe et Schiller, par M. Saint-René-Taillandier.