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Shakspeare, et qu’est-ce qui l’en empêcherait ? Pourquoi me serais-je fatigué à en chercher une nouvelle, si celle de Shakspeare convenait et disait justement ce qu’il fallait dire ? L’exposition de mon Faust a aussi quelque ressemblance avec celle de Job, tout cela est fort bien et j’en suis plutôt à louer qu’à blâmer[1]. »

Goethe était dans la meilleure disposition. Il fit apporter une bouteille de vin, et il versa à boire à Riemer et à moi ; pour lui-même, il buvait de l’eau minérale de Marienbad. La soirée semblait avoir été destinée à revoir avec Riemer le manuscrit de la continuation de son autobiographie, pour faire encore peut-être çà et là quelques corrections au point de vue de l’expression. « Eckermann restera bien avec nous et nous écoutera, » dit Goethe. J’acceptai très-volontiers ; et il remit le manuscrit à Riemer, qui commença à lire le début de l’année 1795.

Dans le cours de l’été, j’avais eu déjà le plaisir de lire et d’examiner plusieurs fois ce récit encore non imprimé dans sa biographie. Mais l’entendre lire à haute voix en présence de Goethe, c’était pour moi une jouissance toute nouvelle. Riemer portait son attention sur le choix des expressions, et j’eus l’occasion d’admirer son extrême habileté et la richesse des mots et des tournures qu’il proposait. Pour Goethe, il revoyait l’époque de sa vie qui

  1. Goethe ici commente le mot de Molière : « Je prends mon bien où je le trouve. » Mais il le développe, et peut-être un peu trop. Le droit du génie sur les idées perdues dans des œuvres médiocres est légitime, car ce n’est, au fond, que le droit de donner la vie à ce qui était mort. Exercer ce droit d’emprunt sur des œuvres célèbres semble déjà moins nécessaire. L’emprunt ne peut se pardonner alors que si l’imitation surpasse tout à fait l’original ou l’égale, en le développant avec grande richesse. — Quant à la chanson de Shakspeare transportée dans Faust, ceci n’est qu’un caprice qui ne peut faire loi.