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est belle, » disent-elles, et elles ne pensent, en parlant ainsi, qu’aux sentiments, aux paroles, aux vers. Et personne ne voit que la vraie force et l’effet d’une poésie résident dans la situation, dans le motif. Aussi on écrit des milliers de poésies dont le motif est nul, et qui simulent une espèce d’existence par des sentiments et par une versification sonore. En général, les amateurs et surtout les femmes n’ont de la poésie qu’une très-faible idée. Ils croient ordinairement que s’ils possédaient le côté technique ils tiendraient l’essentiel et seraient des poètes accomplis ; mais ils se trompent bien. »

Le professeur Riemer se fit annoncer. Le conseiller aulique Rehbein se retira. Riemer s’assit près de nous. La conversation se continua sur les motifs des poésies d’amour serbes. Riemer connaissait ces motifs, et il fit la remarque que non-seulement on pourrait sur ces indications écrire des poésies, mais que déjà, sans que l’on connût les poésies serbes, ils avaient été employés et traités par des poètes allemands. Il pensait à certaines poésies écrites par lui-même, et moi, en lisant, je m’étais rappelé certaines poésies de Goethe que je citai.

« Puisque le monde reste toujours le même, dit Goethe, puisque les mêmes situations se répètent, puisqu’un peuple vit, aime et sent comme l’autre, pourquoi un poëte n’écrirait-il pas comme l’autre ? Les situations de la vie se ressemblent ; pourquoi les situations de la poésie ne se ressembleraient-elles pas ? »

« — C’est à cause de cette ressemblance de la vie et des sentiments, dit Riemer, que nous sommes en état de comprendre la poésie des autres peuples. Sans elle, en lisant des poésies étrangères, nous ne saurions pas de quoi on parle. »