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du monde. Tasso, au contraire, se rapproche davantage de notre manière générale de sentir, et le détail de l’exécution en facilite l’intelligence. » — « Cependant, dit M. H…, on regarde en Allemagne Tasso comme difficile, et on s’est étonné quand j’ai dit que je le lisais. » — « Pour Tasso, répondit Goethe, le principal, c’est de ne plus être un enfant et d’avoir vécu dans la bonne compagnie. Tasso ne paraîtra pas difficile à un jeune homme de bonne famille, d’une intelligence et d’une délicatesse ordinaires, possédant cette éducation extérieure qui s’acquiert par le commerce avec les personnes accomplies que l’on rencontre dans les classes supérieures et dans les cercles les plus choisis. »

L’entretien se tourna sur Egmont, et Goethe dit : « J’ai écrit Egmont en 1775, par conséquent il y a cinquante ans. Je me suis tenu de très-près à l’histoire[1] et j’ai cherché la vérité la plus exacte. Dix ans plus tard, j’étais à Rome, j’ai lu dans les journaux que les scènes révolutionnaires que j’avais peintes se répétaient littéralement en Hollande. Je vis alors que le monde reste toujours le même, et aussi que ma peinture devait être assez vivante. »

Tout en causant, l’heure du spectacle était arrivée, nous nous levâmes, et Goethe nous fit un adieu amical. Dans la rue, je demandai à M. H… si Goethe lui plaisait. Il me répondit : « Je n’ai jamais vu un homme qui avec une si aimable douceur possédât tant de dignité naturelle. Il peut prendre tous les airs, et s’abaisser autant qu’il le voudra ; il est toujours grand. »

  1. À l’histoire générale du temps. — Voir l’article de Schiller sur Egmont.