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sert dans le moment, ce qui peut aider à leur parti, voilà pour eux la justice. Aussi, quand ils nous louent, ce n’est jamais qu’ils reconnaissent nos mérites, mais c’est seulement parce que nos idées viennent augmenter les forces de leur parti. »

Nous avons parlé ensuite de notre propre littérature et des obstacles que rencontrent nos jeunes poètes contemporains. « Le malheur de presque tous nos jeunes poètes, a dit Goethe, c’est que, n’ayant pas par eux-mêmes grande signification, ils ne savent pas trouver de sujets en dehors d’eux. Ils trouveront tout au plus un sujet qui les rappelle eux-mêmes, et qui entre dans leurs idées personnelles ; mais prendre un sujet pour lui-même, à cause de sa poésie propre, et quand même il ne nous plairait pas, ils n’y pensent pas. Pour que notre poésie, ou du moins notre poésie lyrique prospère, il faudrait seulement que quelques créatures d’élite rencontrassent dans la vie les circonstances favorables pour étudier et se former. »

Vendredi, 5 décembre 1824.

Ces jours derniers on m’a proposé, à de très-bonnes conditions, d’écrire pour un journal anglais un compte rendu mensuel des productions nouvelles de la littérature allemande. Je penchais fort à accepter la proposition, mais je crus qu’il serait peut-être bon de causer d’abord

    moral. Goethe prononcerait-il aujourd’hui le même jugement ? En 1824, il pensait surtout aux Français du dix-huitième siècle, qui ressemblent peu aux Français du dix-neuvième ; il pensait aux fils de Voltaire ; ils sont moins nombreux de nos jours que les fils de Rousseau. La France représente toujours dans le monde le parti de la révolution, c’est-à-dire le parti de la justice et du droit, c’est là sa gloire, mais elle ne représente plus le parti de l’impiété ; elle a une foi indépendante plus religieuse qu’aucune foi soumise. Déjà en 1827, Goethe adoucissait son arrêt.