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pour tous ces théoriciens emprisonnés dans des idées exclusives, la contemplation de l’univers a perdu sa candeur ; rien n’apparaît plus avec sa pureté naturelle ; lorsque ces savants rendent compte de leurs observations, malgré leur amour pour la vérité, nous n’avons pas l’objet dans sa vérité ; toujours il s’y introduit un fort mélange d’idées personnelles. Je suis loin de soutenir qu’une science modeste et saine nuise à l’observation, au contraire, je répéterai le vieux mot : Nous n’avons vraiment d’yeux et d’oreilles que pour ce que nous connaissons. Le musicien en écoutant un orchestre entend chaque instrument, chaque note isolément ; celui qui n’est pas connaisseur est comme rendu sourd par l’effet général de l’ensemble. Le promeneur qui ne cherche que son loisir ne voit dans une prairie qu’une surface agréable par sa verdure ou par ses fleurs ; l’œil du botaniste y aperçoit du premier coup un nombre infini de petites plantes et de graminées différentes qu’il distingue et qu’il voit séparément. Cependant il y a une mesure pour tout, et comme, dans mon Gœtz[1], l’enfant, à force d’être savant, ne connaît plus son père, il y a dans la science des gens qui, perdus dans leur savoir et dans leurs hypothèses, ne savent plus ni voir ni entendre. Tout va très-vite avec eux, mais tout sort d’eux. Ils sont si occupés de ce qui s’agite en eux-mêmes, qu’il en est d’eux comme d’un homme qui, tout à un sentiment passionné, passera

    en géologie, il n’aimait pas les révolutions violentes ; aussi il penchait vers les théories neptuniennes et défendait Werner. C’était là peut-être une petite erreur de point de vue. Les bouleversements de la surface terrestre ne nous paraissent violents et désordonnés qu’à cause de notre immense petitesse.

  1. Acte Ier, scène iv.