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de Caldéron. Elles sont excessivement spirituelles et à un certain point de vue parfaites, mais elles manquent de poids spécifique ; le contenu en est trop léger. Elles ne sont pas de nature à éveiller dans l’âme du lecteur un intérêt profond et durable, elles ne touchent les cordes du cœur que d’une façon rapide et légère. Elles ressemblent au liège qui en flottant sur l’eau ne pèse pas et est porté sans peine par la surface liquide. L’Allemand demande un certain sérieux, une certaine grandeur de pensée, une certaine abondance d’âme ; voilà pourquoi Schiller est élevé si haut. Je ne doute en aucune façon de la solidité du caractère de Platen, mais ici, sans doute pour une raison d’art, on ne la sent pas. Il prouve beaucoup d’instruction, de l’esprit, un grand talent pour le trait frappant, et un art d’une grande perfection, mais avec tout cela, surtout chez nous Allemands, on n’a encore rien fait. En général, c’est le caractère personnel de l’écrivain qui lui donne sa signification dans le public ; ce ne sont pas les artifices de son talent. Napoléon disait de Corneille : S’il vivait, je le ferais prince ; et il ne le lisait pas. Il lisait Racine, mais ne disait rien de pareil pour Racine. C’est aussi pour la même raison que la Fontaine est chez les Français en si haute estime ; ce n’est pas à cause de sa valeur comme poète, mais bien à cause de la grandeur du caractère qui perce dans ses écrits[1].

Nous vînmes ensuite à parler des Affinités, et Goethe m’a raconté l’histoire d’un voyageur anglais qui, étant

  1. Je suppose que Goethe pense à l’Élégie des Nymphes de Vaux. La Fontaine a montré ce jour-là de la « grandeur de caractère, » mais dans ses Fables il s’est contenté d’être un charmant poète. Goethe, si loin de la France, pouvait croire que la Fontaine a joué sous Louis XIV le rôle de paysan du Danube.