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et forme comme la voûte d’une grotte ; nous nous assîmes sur de petites chaises placées autour d’une table ronde. Le soleil était si ardent, que l’ombre légère de ces arbres sans feuillage faisait déjà du bien. « Par les fortes chaleurs d’été, me dit Goethe, je ne connais pas de meilleur asile que cette place. J’ai planté de ma main tous les arbres il y a plus de quarante ans ; j’ai eu le bonheur de les voir pousser, et je jouis déjà depuis assez longtemps de la fraîcheur de leur ombrage. Le feuillage de ces chênes et de ces hêtres est impénétrable au soleil le plus ardent ; j’aime à m’asseoir ici, pendant les chaudes journées d’été, après dîner, lorsque sur la prairie et dans tout le parc à l’entour règne ce silence que les anciens peindraient en disant que Pan dort. »

Nous entendîmes sonner deux heures dans la ville, et nous revînmes.

Mardi, 30 mars 1824.

Ce soir, chez Goethe, j’étais seul avec lui ; nous avons causé de différentes choses, tout en buvant une bouteille de vin ; nous avons parlé du théâtre français, en l’opposant au théâtre allemand. « Il sera bien difficile, a dit Goethe, que le public allemand arrive à une espèce de jugement sain, comme cela existe à peu près en Italie et en France. L’obstacle principal, c’est que sur nos scènes on joue de tout. Là où nous avons vu hier Hamlet, nous voyons aujourd’hui Staberle[1] et là où demain doit nous ravir la Flûte enchantée, il faudra, après-demain, écouter les farces du plaisant à la mode. De là résulte, pour

  1. Personnage burlesque qui revient souvent dans les vaudevilles écrits à Vienne. Berlin a de même ses types locaux, connus de tous les Allemands.