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curité, et je marchais en avant sans trop savoir où j’allais, mais cependant j’avais déjà le sens du vrai, une baguette divinatoire qui m’enseignait où était l’or. »

Je fis observer c3 qu’il en était ainsi pour tous les grands talents, car autrement lorsqu’ils s’éveillent dans ce monde si mélangé, ils ne sauraient pas saisir le vrai et éviter le faux. Cependant on avait attelé ; nous suivîmes la route vers Iéna. Goethe, au milieu de différents sujets, me parla des nouveaux journaux français : « La constitution en France, dit-il, chez un peuple qui renferme tant d’éléments vicieux, repose sur une tout autre base que la constitution anglaise. En France tout se fait par la corruption ; toute la Révolution française même a été menée à l’aide de corruptions[1]. »

Il m’annonça la mort d’Eugène Napoléon (duc de Leuchtenberg). La nouvelle était arrivée le matin, et elle semblait l’attrister profondément. « C’était, dit Goethe, un de ces grands caractères qui deviennent de plus en plus rares, et le monde est appauvri d’un homme remarquable. Je le connaissais personnellement ; l’été dernier nous étions ensemble à Marienbad. C’était un bel homme d’environ quarante-deux ans, mais qui paraissait plus âgé, et cela ne peut étonner quand on pense à ce qu’il a souffert et quand on se rappelle sa vie, où campagnes et grands faits se succèdent sans interruption. Il m’a, à Marienbad, communiqué un plan sur l’exécution duquel nous avons beaucoup causé. Il s’agissait de la réunion du Rhin et du Danube. Gigantesque entreprise, quand on réfléchit aux obstacles naturels. Mais à quel-

  1. Goethe pense évidemment à Mirabeau ; mais il a tort de généraliser et surtout d’établir une différence entre la France et l’Angleterre. Walpole n’est pas un homme d’État français. Je me borne à cet exemple.

Errata :

c3. texte corrigé, voir ERRATA, Ier volume