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duit-on ? par quels degrés de tâtonnements et d’hésitations ne se croit-on pas tenu de passer ? Cela s’est vu pour Goethe et pour d’autres : on les coupe, on les dépèce, on donne ce qu’on appelle leurs pensées ; on traite le public comme on ferait un malade ou un convalescent, qui, ne pouvant supporter toute la longueur d’un festin, se contente de prendre quelques pâtes nutritives et d’emporter quelques tablettes de chocolat.

Vous avez pour votre compte, mon cher ami, des idées plus justes et plus saines ; vous avez trop souvent affaire à notre public pour ne pas le connaître, et cependant vous ne le flattez pas. Vous avez pensé notamment qu’à l’égard des Entretiens de Goethe et d’Eckermann, il fallait faire mieux qu’on n’a fait, et se donner le plaisir et le profit de ce commerce de chaque jour, de chaque heure, avec le plus beau génie traitant des sujets les plus variés. Je plaindrais les esprits qui n’y verraient que de la fatigue, et qui ne s’en trouveraient pas singulièrement fortifiés et nourris. C’est une bonne école, et la meilleure, que la compagnie journalière d’un grand esprit.

Et qu’était-ce d’abord que son interlocuteur, cet Eckermann, qui, venu à Weimar pour visiter et consulter l’oracle, y demeura durant les huit ou neuf dernières années que Goethe vécut encore ? Eckermann n’avait en lui rien de supérieur ; c’était ce que j’ai appelé ailleurs une de ces natures secondes, un de ces