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blesse des âmes excellentes et que je nuis à mes meilleures choses. Et cependant j’en ai enduré avec l’Uranie de Tiedge ! Il y a eu un temps où on ne chantait, où on ne déclamait que l’Uranie. Partout où on allait, on trouvait l’Uranie sur une table ; l’Uranie et l’immortalité étaient le sujet de toute conversation. Certes, je ne voudrais pas être privé du bonheur de croire à une durée future, et même je dirai avec Laurent de Médicis que ceux qui n’espèrent pas une autre vie sont déjà morts pour celle-ci. Mais ces mystères incompréhensibles sont beaucoup trop au-dessus de nous pour être un sujet d’observations quotidiennes et de spéculations funestes à l’esprit. Que celui qui a la foi en une durée future jouisse de son bonheur en silence, et qu’il ne se trace pas déjà des tableaux de cet avenir. À l’occasion de l’Uranie de Tiedge, j’ai remarqué que les personnes pieuses forment une espèce d’aristocratie comme les personnes nobles. J’ai trouvé de sottes femmes qui étaient fières de croire avec Tiedge à l’immortalité, et j’ai été obligé de supporter de la part de plusieurs d’entre elles une espèce d’examen à mots couverts sur ce point. Je les indignais en leur disant : Je serai très-satisfait, si après cette vie je suis encore favorisé d’une autre, mais je demande seulement à ne rencontrer là-haut aucun de ceux qui ici-bas ont eu la foi à la vie future, car je serais alors bien malheureux ! Toutes ces âmes pieuses viendraient toutes m’entourer en me disant : Eh bien ! n’avions-nous pas raison ? Ne vous l’avions-nous pas dit ? N’est-ce pas arrivé ?… Et je serais, même là-haut, condamné à un ennui sans fin. S’occuper des idées sur l’immortalité, cela convient aux classes élégantes et surtout aux femmes qui n’ont rien à faire. Mais un homme d’un esprit solide, qui pense à être