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sous une pierre les armes de son père. La pose de la figure avait beaucoup de qualités, cependant les membres qui supportaient le poids de la pierre n’étaient pas assez tendus. Cela nous parut aussi mal conçu d’avoir représenté le jeune homme tenant déjà d’une main les armes pendant qu’il soulève encore de l’autre la pierre, car il est tout naturel qu’il jette d’abord la pierre de côté et qu’il prenne alors les armes. « Mais je vais, me dit Goethe, vous montrer en revanche une pierre antique où le même sujet est traité par un ancien. » Il envoya Stadelmann chercher une caisse dans laquelle se trouvaient quelques centaines de pierres antiques moulées, rapportées par lui de Rome, lors de son voyage en Italie. Je vis alors le même sujet traité par un Grec, et quelle différence ! Le jeune homme se roidit de toutes ses forces contre la pierre ; il est assez fort pour en soutenir la charge ; on voit qu’il réussira, et la pierre est déjà assez soulevée pour être bientôt renversée de l’autre côté. Le jeune héros fait contre cette lourde masse emploi de toutes ses forces et c’est seulement son regard abaissé qui s’occupe des armes étendues à terre à ses pieds. Nous admirâmes le grand naturel et la vérité de cette action. « Meyer dit toujours, ajouta Gœthe en riant : Si penser n’était pas si difficile !… Mais le vrai mal, c’est que penser ne sert à rien du tout ; il faut avoir reçu de la nature un sens juste, et alors les bonnes idées nous apparaissent toujours comme des enfants du ciel et nous crient : Nous voilà ! »

Mercredi, 25 février 1824.

Goethe m’a montré aujourd’hui deux poésies bien curieuses ; toutes deux ont une intention très-morale, mais çà et là quelques détails ont ce naturel et cette vérité