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Goethe me montra alors une courte critique qu’il a écrite sur le Caïn de Byron, et que je lus avec un vif intérêt. « On voit, dit-il, combien l’insuffisance des dogmes ecclésiastiques a tourmenté un libre esprit comme Byron, et comment il a cherché par cette pièce à se débarrasser d’une doctrine imposée. Le clergé anglais à la vérité ne peut pas lui adresser de grands remercîments, mais je serai bien étonné s’il ne continue pas à peindre les sujets bibliques voisins et s’il laisse échapper un sujet comme la ruine de Sodome et de Gomorrhe. »

Après ces observations littéraires, Goethe tourna mon intérêt vers les beaux-arts en me montrant une pierre gravée antique dont il m’avait déjà parlé avec admiration le jour précédent. Je fus ravi de la naïveté de ce dessin. Je vis un homme qui a enlevé de ses épaules un vase très-lourd pour faire boire un enfant. Mais le vase n’est pas encore bien placé, il n’est pas à la portée des lèvres ; la boisson ne coule pas ; et l’enfant, tout en ayant ses petites mains appuyées sur le vase, regarde vers l’homme et paraît le prier de le pencher encore un peu. « Eh bien ! cela vous plaît-il ? me dit Goethe. Ah ! nous autres modernes, nous sentons bien la grande beauté des sujets d’un naturel aussi pur, aussi complètement naïf ; nous savons bien, nous concevons bien comment on pourrait faire quelque chose de pareil, mais nous ne le faisons pas ; on sent la réflexion qui domine, et nous manquons toujours de cette grâce ravissante. »

Nous regardâmes ensuite une médaille de Brandt[1], graveur de Berlin, représentant le jeune Thésée qui trouve

  1. Né en 1789. Il avait étudié à Paris, sous Droz ; son Thésée lui avait valu un grand prix. Il est mort en 1845, graveur en chef des monnaies de la Prusse.