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ther, vérifier le mot d’un sage : Lorsqu’on a fait quelque chose qui plaît au monde, le monde s’arrange de manière qu’on ne le recommence pas. Un nom répandu au loin, une haute position ont leur prix ; mais avec ma réputation et mes dignités, j’ai tout simplement réussi à obtenir le droit de taire ce que je pense de l’opinion des autres, de peur de blesser. Ce serait trop fort si je n’avais pas l’avantage, sachant l’opinion des autres, de ne pas leur laisser ignorer la mienne. »

Dimanche, 15 février 1824.

Aujourd’hui, avant diner, Gœthe m’a fait inviter à une promenade en voiture. En entrant dans sa chambre, je le trouvai déjeunant ; il paraissait d’humeur très-gaie. « J’ai reçu une très-agréable visite, me dit-il joyeusement ; un jeune homme plein d’espérance, Meyer, de Westphalie, était avant vous chez moi[1]. Il a fait des poésies qui permettent d’attendre beaucoup. Il vient d’avoir dix-huit ans ; il est avancé d’une façon étonnante. Je suis bien content, dit ensuite Goethe en riant, de n’avoir pas aujourd’hui dix-huit ans. Quand j’avais dix-huit ans, l’Allemagne avait aussi dix-huit ans, et on pouvait faire quelque chose ; maintenant ce que l’on demande est incroyable, et tous les chemins sont barrés. L’Allemagne seule est, dans tous les genres, parvenue si haut, que

    tique semble inévitable. Est-ce tout à fait un mal ? Gœthe a laissé moins de beaux vers, mais il a, comme ministre, rendu d’immenses services au grand-duché de Weimar, et par suite à l’Allemagne entière. Lamartine n’a pas écrit l’épopée qu’il rêvait, mais il a écrit quelques lois qui valent bien des chants épiques. Le bien a profité des pertes du beau. Quand une grande âme est active, ce qu’elle fait reçoit toujours sa noble et durable empreinte.

  1. Mort très-jeune. On a de lui un joli roman : Édouard à Rome, 1840 ; Breslau, 2 vol.