Vendredi, 21 novembre 1823.
Goethe m’a fait appeler. À ma grande joie je l’ai trouvé de nouveau levé, et marchant dans sa chambre. Il m’a donné un petit livre : les Ghazeles[1] du comte Platen. « Je voulais en parler dans l’Art et l’Antiquité, car les poésies le méritent, mais mon état ne me permet de rien faire. Voyez donc si vous pouvez entrer dans cette œuvre et en tirer quelque chose. » Je promis d’essayer. « Ce qu’il y a de caractéristique dans les Ghazeles, c’est qu’elles exigent une grande richesse d’idées. Il faut que pour chaque rime qui revient la même, arrive une nouvelle pensée. Aussi est-ce un genre qui ne réussit pas à tout le monde. Mais celles-ci sont bien faites. » Le médecin arrivait, je m’en allai.
Lundi, 24 novembre 1823.
Samedi et dimanche j’ai étudié les poésies de Platen. Ce matin j’ai écrit ce que j’en pense et je l’ai envoyé à Goethe ; j’avais appris que depuis quelques jours il ne voyait personne, son médecin lui ayant interdit toute conversation. Cependant, le soir, il me fit demander. Lorsque j’entrai, je trouvai la chaise déjà préparée pour moi près lui. Il me tendit la main et se montra plein d’amabilité et de bonté. Il commença tout de suite à parler de mon article. « Il m’a fait le plus grand plaisir, dit-il, vous êtes très-heureusement doué. Écoutez, je veux vous dire quelque chose : si on vous fait quelque part des propositions littéraires, refusez-les ou du moins faites m’en part, car vous êtes maintenant avec moi, j’ai-
- ↑ Comme les Roses d’Orient de Ruckert, les Ghazeles de Platen sont des poésies inspirées des Divans de Goethe et de Hafiz.