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d’absinthe et passait de longues heures d’attente assise sur le pas de sa porte, la cigarette à la bouche, les mains jointes sur son genou relevé. Mais elle conservait toujours cet air triste et grave qui allait si bien à sa beauté sombre, et, dans ses yeux au regard lointain, à défaut de pensée, brûlait la flamme de la passion.

Un jour, un fils de grande tente, Si Mohammed el Arbi, dont le père était titulaire d’un aghalik du Sud, remarqua Achoura et l’aima. Audacieux et beau, capable de passions violentes, le jeune chérif fit le bonheur de la Chaouïya, le seul bonheur qui lui fut accessible : âpre et mêlé de souffrance. Jaloux, blessé dans son orgueil par de basses promiscuités, Si Mohammed el Arbi souffrit de voir Achoura au Village-Nègre, à la merci des soldats. Mais l’en retirer eût été un scandale, et le jeune chérif craignait la colère paternelle…

Comme il arrive pour toutes les créatures d’amour, Achoura se sentit naître à une vie nouvelle. Il lui sembla n’avoir jamais vu le soleil dorer la crête azurée des montagnes et la lumière se jouer capricieusement dans les arbres touffus de la montagne. Parce que la joie était en elle, elle sentit une joie monter de la terre, comme elle alanguie en un éternel amour.

Achoura, comme toutes les filles de sa race, regardait le trafic de son corps comme le seul