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— Louange à Dieu ! répètent en un soupir les femmes en regardant la derouïcha avec admiration ; depuis la veille, cette créature frêle et usée marche dans le froid et la tempête et elle est venue, poussée par sa mystérieuse destinée, chercher son pain à quatre-vingts kilomètres de l’endroit où, hier, elle exerçait sa lugubre profession de laveuse des morts.

— Et tu n’as pas peur, mère Kheïra ? demandent les femmes.

— Dieu fait marcher ses serviteurs. Les hyènes et les goules fuient quand passe celui qui prie. Louange à Dieu !

Dans ce cerveau éteint, seule la foi en Dieu demeure vivace.

D’humain, mère Kheïra n’a plus que ce besoin de recours suprême qui attendrit les cœurs les plus durs, et qui, chez les simples, résume toute la poésie de l’âme.

La nuit tombe brusquement, et les hommes rentrent, annonçant que l’heure de rompre le jeûne est venue ; à la mère Kheïra, femme d’entre les femmes, ils ne prennent pas garde et se font servir, parlant entre eux… Et comme je demande à l’un d’eux l’histoire de la derouïcha, il me la conte brièvement.

— Quand elle était jeune, elle était belle. Son père était un khammès très pauvre, et elle aimait garder les troupeaux dans la montagne. Elle se faisait des colliers de fleurs sauvages et