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seigneur berbère qui commande la route de Mogador la recevrait toussant comme Louis XI, roulé dans des couvertures, montrant à peine son visage de vieux lapin et parlant sous un cache-nez. La chambre serait longue et meublée de tapis « chleuh ». Un poêle à pétrole y fumerait à côté d’un brasero de cendres, et pendant que les gardes noirs, à long poignard d’argent passé en bandoulière, prépareraient le thé à la menthe dans un vrai samovar de cuivre, elle reprendrait avec le féodal ses conversations de chameaux et de sacs d’orge interrompues dans le Sud-Oranais, si loin d’Europe, si près d’elle-même et de son nirvâna.

Isabelle Eberhardt aimait les scènes de ce genre des visions bien gravées, les sorties dans la nuit dangereuse, l’arrivée à cheval dans le petit cercle de feu d’un campement, ou l’entrée dans le « bordj » d’un chef énigmatique parmi la gens armée et les troupeaux, les longues salutations psalmodiées et les palabres qui prêtent à l’observation muette. Les fatigues de la terre du Sud ne l’effrayaient pas

Et tout cela, les officiers de nos avant-postes oranais Pont vécu avec elle ; cette poésie, ils l’ont sentie comme elle ; ils sont allés au Maroc sans elle, mais ils emportaient peut-être sans le savoir un peu de sa pensée.

Il est en effet tout à fait digne d’attention