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Aux heures où la voix lente et plaintive des moueddhen appelle les croyants, les deux amies se lèvent et se prosternent sur une natte insouillée, avec un grand cliquetis de bijoux. Puis elles reprennent leur place et leur songerie, comme si elles attendaient quelqu’un qui ne vient pas…

Rarement, elles échangent quelques paroles.

— Regarde, ô Saâdia, là-bas. Si Châlal, le cadi… Te souviens-tu du temps où il était mon amant ? Quel fringant cavalier c’était alors ! Comme il enlevait adroitement sa jument noire ! Et comme il était généreux, quoique simple adel encore. À présent, il est vieux… Il lui faut deux serviteurs pour le faire monter sur sa mule aussi sage que lui, et les femmes n’osent plus le regarder en face… lui dont je mangeais les yeux de baisers !

— Oui… Et Si Ali, le lieutenant, qui, simple spahi, était venu avec Si Châlal, et que j’ai tant aimé ? T’en souviens tu ? Lui aussi, c’était un cavalier hardi et un joli garçon… Comme j’ai pleuré, quand il est parti pour Médéah ! Lui, il riait, il était heureux ; on venait de le nommer brigadier et il m’oubliait déjà… Les hommes sont ainsi… Il est mort l’an dernier… Dieu lui accorde sa miséricorde !

Parfois, elles chantent des couplets d’amour qui sonnent étrangement dans leurs bouches à la voix chevrotante, presque éteinte déjà.