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Puis elle songeait avec un frisson retrouvé aux épousailles magnifiques, quand on l’avait donnée à Rezki ou Said, le beau chasseur qu’elle aimait.

Et il lui semblait, dans le recul du souvenir, que ces jours révolus avaient tous été sans trouble et sans tristesse, que tout s’enivrait alors de son ivresse.

Puis, les heures noires étaient venues… Brusquement, tout avait été brisé, rasé, dissipé, comme le vent disperse un tourbillon courant sur la route ensoleillée. Une nuit, des voleurs de chevaux avaient tué Reski d’un coup de fusil… Ç’avait été le deuil affreux de toute sa chair arrachée, la folie des vêtements déchirés, des joues griffées, sanglantes sous les cheveux épars. Elle avait hurlé, comme les femelles sauvages de la montagne, sous la morsure du plomb… Après, son père s’était éteint, durant un hiver glacé, de misère et d’épouvante, comme la tempête amoncelait les lourdeurs de la neige sur le gourbi chancelant… Quelques mois après, Zouïna, la mère de Taalith, épousait un marchand qui les emmenait toutes deux à Alger.

Et maintenant, Taalith était captive là, dans cette cour mauresque fermée comme une prison de hautes murailles peintes en bleu pâle, entourées de colonnades de cloître, au milieu de toute l’oppression inquiétante du vieil Alger turc et maure,