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notes sur isabelle eberhardt


Te regretter, alors que je ne t’ai point vue,
Au moment où mes mains allaient prendre tes mains
Me heurter, moi vivante, à toi, tombe imprévue,
Sans avoir échangé le regard des humains !

Je pense à toi, je pense à toi dans les soirs roses,
Jeune femme, ma sœur, jeune morte, ma sœur !
Tu me par les parmi l’éloquence des choses,
Et ta voix, ô vivante, est pleine de douceur.

Salut à toi, dans la douleur de la lumière,
Où tu vécus d’ivresse et de fatalité
Le désert est moins grand que ton âme plénière,
Qui se dédia toute à son immensité.

Toi qui n’étais pas lasse encore d’être libre,
D’avoir tant possédé tout ce que nous voulons,
Ni que toute beauté frissonnât par tes fibres
Comme un chant magistral traverse un violon,

Pourquoi la mort si tôt t’arrache-t-elle au monde,
Ne nous lassant plus rien que l’admiration,
Alors qu’il te restait encore, ô vagabonde,
À courir tant de risque et tant de passion ?

Tout se tait. La bêtise immense et l’injustice,
Qui te regardaient vivre avec leurs yeux si gros,
Ne te poursuivront pics, au milieu de la lice,
Du hideux cri de mort qui s’attache aux héros.

Nous irons a présent lui dire qu’il se sauve,
Ton cheval démonté, sus aux quatre horizons,
Pour apprendre ta fin subite au néant fauve
Des Saharas sans bruit, sans forme, sans saisons.

Car toi tu dors, enfin parvenue au mystère
Que ton être anxieux cherchait toujours plus loin,
Enveloppée aux plis éternels de la terre,
Comme dans la douceur d’un manteau bédouin.