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notes sur isabelle eberhardt

admiration étonnée. Quelle splendide et simple hardiesse, quelle magnifique brusquerie, et, d’ailleurs, quelle prenante monotonie nostalgique ! Cette femme était une source puissante, dont, peut-être, la générosité s’éparpillait trop encore ; mais le temps patient l’attendait pour lui enseigner la belle prudence du style qui revient quelquefois sur les pas du premier emportement. Telle quelle, son œuvre est évidemment un décalque de sa vie, donc profondément originale, haute. Peut-être, plus tard, cette œuvre eût-elle dépassé même sa vie ? Elle n’avait que vingt-sept ans.

« Par lambeaux, nous arrachons quelque chose d’elle à des gens de hasard. Les Arabes, qui ne la connaissent que sous le nom de Si Mahmoud Saadi, nous ont dit avec élan qu’elle était généreuse ». Ils semblaient l’avoir respectée presque comme un personnage saint. Ils admiraient aussi ses prouesses cavalières, sa science des plus surprenantes fantasias. Il y en a qui nous ont dit qu’elle fumait le haschich, ce qui l’avait rendue « blanche avec pâleur ». Quelques beaux messieurs européens nous ont résumé leur opinion sur elle en déclarant :

« — Une toquée !

« Suivaient des calomnies basses. Et ils achevaient par cette suprême insulte :

« — C’était vraiment une femme extraordinaire !

« Enfin, les rares amis dignes qu’elle a eus, à Alger ou ailleurs, en Afrique, ont écrit d’elle qu’elle était « un être surhumain ». Tout concorde donc sans diversion : notre chagrin de sa mort ne nous trompe pas.

« Arrivant ainsi lentement à nous rendre compte de cette personnalité incalculable, nous songeons à l’horreur de sa fin, avec des yeux tout à coup pleins des larmes de la rébellion…

« Cependant il est beau qu’ayant vécu si audacieusement,