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notes sur isabelle eberhardt

À ma question, pourquoi il m’en voulait, il répondit

« Je ne t’en veux nullement, tu ne m’as rien fait, je ne te connais pas, mais il faut que je te tue[1]. »

Le marabout lui demanda s’il savait que j’étais musulmane : il répondit affirmativement. Son père déclara qu’il était Tidjanya.

Le marabout obligea le cheikh de l’endroit à prévenir le bureau arabe et demanda un officier pour emmener le meurtrier et ouvrir l’instruction, et le médecin-major pour moi.

Vers onze heures, l’officier chargé de l’instruction, lieutenant au bureau arabe, et le major se présentèrent.

Le major constata que, la blessure de ma tête et celle de mon poignet gauche étaient insignifiantes ; un hasard providentiel m’avait sauvé la vie une corde à linge se trouvait tendue juste au-dessus de ma tête et avait amorti le premier coup de sabre, qui, sans cela, m’eût infailliblement tuée. Mais l’articulation de mon coude gauche était ouverte du côté externe, le muscle et l’os entamés.

Par suite de l’énorme perte de sang que j’avais subie — pendant six heures — je me trouvais dans un état de faiblesse tel, qu’il fallut me laisser ce soir-là à Behima.

Le lendemain je fus transportée, sur un brancard, à l’hôpital militaire d’Eloued, où je restai jusqu au 25 février dernier. Malgré les soins dévoués et intelligents de M. le docteur Taste, je sortis de l’hôpital infirme pour le restant de mes jours[2] et incapable de me servir de mon bras gauche pour aucun travail tant soit peu pénible.

Malgré que, lors de mon premier voyage, j’avais eu des démêlés avec le bureau arabe de Touggourth dont dépend celui d’Eloued, — démêlés provoqués uniquement par la

  1. Devant le Conseil de guerre de Constantine il déclara le 18 juin « Je n’ai pas frappé une Européenne, j’ai frappé une musulmane sous une impulsion divine. »
  2. À la longue, le jeu des muscles s’était rétabli. Isabelle Eberhardt garda de sa blessure une large cicatrice au coude gauche. Elle pouvait se servir de son bras avec un peu de faiblesse.