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C’était écrit, et il n’y avait point à se lamenter. Il fallait attendre la fin, tout simplement… Tout venait de s’écrouler en elle et autour d’elle, et rien n’avait plus le pouvoir de toucher son cœur, de le réjouir ou de l’attrister.

Sa douleur était cependant infinie… Elle souffrait surtout de savoir Jacques vivant et si près d’elle… si près, et en même temps si loin, si loin !…

Oh ! comme elle eût préféré le savoir mort, et couché là-bas dans ce cimetière des Roumis, derrière la Porte de Constantine.

Elle eût pu — inconsciemment — revivre là les heures charmantes de jadis, les heures d’ivresse et d’amour vécues dans l’oued desséché.

Elle eût encore goûté là une joie douce et mélancolique, au lieu de ressentir les tourments effroyables de l’heure présente…

Et surtout, il n’eût point aimé une autre femme, une Roumia !

Elle sentait bien qu’elle en mourrait de douleur atroce : jusque là, seule l’espérance obstinée de revoir un jour Jacques, seule la volonté farouche de vivre encore pour le revoir lui avaient donné une force factice pour lutter contre la phtisie dévorante, rapide.

Maintenant, Yasmina n’était plus qu’une loque de chair abandonnée à la maladie et à la mort, sans résistance… D’un seul coup, le ressort de la vie s’était brisé en elle.