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— Mabrouk ! Mabrouk ! Tu ne me reconnais donc plus ? Je suis ta Smina ! Regarde-moi donc, embrasse-moi ! Oh, je sais bien, j’ai changé… Mais cela passera, je guérirai pour toi, puisque tu es là !…

Il préféra en finir tout de suite, pour couper court à cette aventure désagréable. Maintenant, il possédait presque en perfection cette langue arabe dont elle lui avait appris, jadis, les premières syllabes, et lui dit :

— Écoute… Ne compte plus sur moi. Tout est fini entre nous. Je suis marié et j’aime ma femme. Laisse-moi et ne cherche plus à me revoir. Oublie-moi, cela vaudra mieux pour nous deux.

Les yeux grands ouverts, stupéfaite, elle le regardait… Alors, c’était donc vrai ! La dernière espérance qui la faisait vivre venait de s’éteindre.

Il l’avait oubliée, il était marié, et il aimait la Roumia, sa femme !… Et elle, elle qui l’avait adoré, il ne lui restait plus qu’à se coucher dans un coin et à y mourir comme un chien abandonné.

Dans son âme obscure, une révolte surgit contre l’injustice cruelle qui l’accablait.

Elle se redressa soudain, hardie, menaçante.

— Alors, pourquoi es-tu venu me chercher au fond de Youed, dans mon douar, où je vivais paisiblement avec mes chèvres et mes moutons ? Pourquoi m’y avoir poursuivie ? Pourquoi as-tu usé de toutes les ruses, de tous les sortilèges pour me séduire, m’entraîner, me prendre ma virginité ?