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haïssent point les Musulmans… Mais en lui-même, il savait bien qu’il suffit de quelques fonctionnaires ignorants et brutaux pour rendre la France haïssable aux yeux de pauvres villageois illettrés et obscurs.

Yasmina entendait tous les Arabes des environs se plaindre d’avoir à payer des impôts écrasants, d’être terrorisés par l’administration militaire, d’être spoliés de leurs biens… Et elle en concluait que probablement ces Français bons et humains dont lui parlait Jacques ne venaient pas dans son pays, qu’ils restaient quelque part au loin.

Tout cela, dans sa pauvre intelligence inculte, dont les forces vives dormaient profondément, était très vague et ne la préoccupait d’ailleurs nullement.

Elle n’avait commencé à penser, très vaguement, que du jour où elle avait aimé.

Jadis, quand Jacques la quittait pour rentrer à Batna, elle restait songeuse. Qu’y faisait-il ? Où vivait-il ? Voyait-il d’autres femmes, des Roumia qui sortent sans voile et qui ont des robes de soie et des chapeaux comme celles qui venaient visiter les ruines ? Et une vague jalousie s’allumait alors dans son cœur.

Mais, depuis que Jacques était parti pour l’Oranie lointaine, Yasmina avait beaucoup souffert, et son intelligence commençait à s’affiner.

Parfois, dans sa solitude désolée, elle se mettait à chanter les complaintes qu’il avait aimées, et