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européennes qui dominaient tyranniquement sa vie à lui et qu’elle, Yasmina, ne comprendrait jamais…

Enfin, le cœur débordant d’amertume, Jacques pleura, la tête abandonnée sur les genoux de Yasmina.

Quand elle le vit sangloter si désespérément, elle comprit qu’il était sincère… Elle serra la chère tête aimée contre sa poitrine, pleurant elle aussi, enfin.

Mabrouk ! Prunelle de mes yeux ! Ma lumière ! O petite tache noire de mon cœur ! Ne pleure pas, mon seigneur ! Ne t’en va pas, Ya Sidi. Si tu veux partir, je me coucherai en travers de ton chemin et je mourrai. Et alors, tu devras passer sur le cadavre de ta Yasmina. Ou bien, si tu dois absolument partir, emmène-moi avec toi. Je serai ton esclave. Je soignerai ta maison et ton cheval… Si tu es malade, je te donnerai le sang de mes veines pour te guérir… ou je mourrai pour toi. Ya Mabrouk ! Ya Sidi ! emmène-moi avec toi…

Et comme il gardait le silence, brisé, devant l’impossibilité de ce qu’elle demandait, elle reprit :

— Alors, viens, mets des vêtements arabes. Sauvons-nous ensemble dans la montagne, ou bien, plus loin, dans le désert, au pays des Chaâmba et des Touaregs… Tu deviendras tout à fait Musulman, et tu oublieras la France…

— Je ne puis pas… Ne me demande pas l’impossible. J’ai de vieux parents, là-bas, en France, et ils mourront de chagrin… Oh ! Dieu seul sait