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langue à elle, et que tout ce qui était elle l’enivrait. Jacques ne pensait plus, il vivait.

Et il était heureux.

    

Un jour, Jacques apprit qu’il était désigné pour un poste du Sud-Oranais.

Il lut et relut l’ordre implacable, sans autre sens pour lui que celui-ci : partir, quitter Yasmina, la laisser marier à ce cafetier borgne, et ne plus jamais la revoir…

Pendant des jours et des jours, désespérément, il chercha un moyen quelconque de ne pas partir, une permutation avec un camarade… mais en vain.

Jusqu’au dernier moment, tant qu’il avait pu conserver la plus faible lueur d’espérance, il avait caché à Yasmina le malheur qui allait les frapper…

Pendant ses nuits d’insomnie et de fièvre, il en était arrivé à prendre des résolutions extrêmes : tantôt il se décidait à risquer le scandale retentissant d’un enlèvement et d’un mariage, tantôt il songeait à donner sa démission, à tout abandonner pour sa Yasmina, à devenir en réalité ce Mabrouk qu’elle rêvait de faire de lui… Mais, toujours une pensée venait l’arrêter : il y avait là-bas, dans les Ardennes, un vieux père et une mère aux cheveux blancs qui mourraient certainement de chagrin, si leur fils, « le beau