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lui aussi, Jacques s’abandonnait à la félicité de l’heure…

— Quand ils voudront me donner au borgne, tu me prendras et tu me cacheras quelque part dans la montagne, loin de la ville, pour qu’ils ne me retrouvent plus jamais. Moi, j’aimerais habiter la montagne, où il y a de grands arbres qui sont plus vieux que les plus anciens des vieillards, et où il y a de l’eau fraîche et pure qui coule à l’ombre… Et puis, il y a des oiseaux qui ont des plumes rouges, vertes et jaunes, et qui chantent…

Je voudrais les entendre, et dormir à l’ombre, et boire l’eau fraîche… Tu me cacheras dans la montagne et tu viendras me voir, tous les jours… J’apprendrai à chanter comme les oiseaux, et je chanterai pour toi. Après, je leur apprendrai ton nom, pour qu’ils me le redisent, quand tu seras absent.

Yasmina lui parlait ainsi parfois, avec son étrange regard sérieux et ardent…

— Mais, disait-elle, les oiseaux du Djebel Touggour sont des oiseaux musulmans… Ils ne sauront pas chanter ton nom de Roumi… Ils ne sauront te dire qu’un nom musulman… et c’est moi qui dois te le donner, pour le leur apprendre… Tu t’appelleras Mabrouck*, cela nous portera bonheur.

… Pour Jacques, cette langue arabe était devenue une musique suave, parce que c’était sa