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plus chère. Là, il se reposait, dans ce décor qu’il aimait ; là, il était loin de tout ce qui, au bordj, lui rendait désormais la vie intolérable. Embarka ne le questionnait pas sur les causes de sa tristesse, mais, assise à ses pieds, elle lui chantait ses complaintes favorites, ou lui souriait…

L’aimait-elle ? Jacques n’eût pu le définir. Mais il ne souffrait pas de cette incertitude, parce que, d’elle, ce qui l’attirait et le charmait le plus, c’était le mystère qui planait sur tout son être. Elle était pour lui un peu l’incarnation de son pays et de sa race, avec sa tristesse, son silence, son absolue inaptitude à la gaieté, au rire… Car Embarka ne riait jamais.

Dans son sourire, Jacques découvrait des trésors de tristesse et de volupté. D’ailleurs, il l’aimait ainsi inexpliquée, inconnue, car il avait ainsi l’enivrante possibilité d’aimer en elle son propre rêve…

Dans d’autres conditions, avec une plus grande habitude du pays et de la race arabe, et surtout si leur étrange amour avait commencé plus simplement, Jacques eût peut-être vu Embarka sous un tout autre jour…

Peu à peu Jacques redevint calme et vaillant, oubliant l’avertissement du capitaine, dont il n’avait pas même soupçonné la menace.

Et, voluptueusement, il se laissa vivre.

Il y avait cinq mois déjà qu’il était là. Il savait maintenant parler la langue du désert, il