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caractères à son image, d’emprisonner les énergies dans les sentiers qu’il lui plaisait de suivre et pourquoi, chez les autres, cette intolérance, ce prosélytisme tyrannique de la médiocrité ?

Très vite, l’éducation de son esprit et de son caractère se faisait, dans ce milieu si restreint où il voyait, comme en raccourci, toutes les laideurs qui, ailleurs, lui eussent échappé, éparpillées dans la foule bigarrée et mobile.

Pourtant, le grand trouble qu’avait introduit dans son âme la révélation, sans transition, de ce pays si dissemblable du sien, se calmait lentement, mais sensiblement. Là où il avait d’abord éprouvé un trouble intense, douloureux, il commençait à apercevoir des trésors de paix bienfaisante et de féconde mélancolie.

Tout d’abord, il n’avait pas voulu visiter le pays où, pour dix-huit mois au moins, il était isolé. Du touriste, il n’avait ni la curiosité ni la hâte. Il préférait découvrir les détails lentement, peu à peu, au hasard de la vie et des promenades quotidiennes, sans but et sans intention. Puis, de cette accumulation progressive d’impressions, l’ensemble se formerait en son esprit, surgirait, tout seul, tout naturellement…

Ainsi, il avait organisé sa vie, pour moins souffrir, et plus penser…

Au lendemain de son arrivée, il avait dû aller, le matin, au bureau arabe pour visiter les malades civils, les indigènes. Un jeune tirailleur, d’une