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Toute la révolte de sa jeunesse solitaire, tout son besoin d’être aimée, de ne pas rester comme une fleur épanouie dans le désert muet, Saadia les reporta sur ce seul homme qui ne la fuyait pas.

Moins timide, bientôt, elle lui parla, lui cita les noms des herbes séchées qui pendaient en gerbes sous le toit de leur maison, et leurs vertus ou leurs poisons.

— Ça, c’est le nanâ odorant, dont le jus guérit les douleurs du ventre, et ça c’est le chih gris dont la fumée arrête la toux… Sa voix de poitrine, vibrante, parfois saccadée, avait un accent étrange pour parler cette langue arabe qu’Andreï possédait maintenant.

D’autres fois, Saadia lui nommait les bijoux qui la paraient. Un jour, pour la mieux deviner, Andreï lui demanda de quoi était mort son mari.

— Quand l’heure est venue, nul ne saurait la retarder du temps qu’il faut pour cligner de l’œil… Et celui qui commet l’iniquité encourt la colère de Dieu.

Une ombre passa dans le regard de Saadia.

Un jour, il la trouva seule au logis. Leur maison était isolée et voilée par le rempart des palmiers. Elle lui sourit et l’invita à entrer quand même.

— Viendra-t-elle bientôt la mère ?

— Non, elle ne viendra pas… Mais viens-tu ici pour elle seule qui est vieille et dont les jours sont écoulés ?