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L’immense douleur de cette perte assombrit pour longtemps l’horizon souriant de la vie d’Andreï. Le vieil homme souriant et doux, le modeste savant ignoré qui lui avait appris à aimer ce qui était beau, à être pitoyable et fraternel à toute souffrance, l’éducateur qui avait veillé jalousement à ce qu’aucune souillure n’effleurât l’âme de l’enfant et de l’adolescent, qui n’avait point permis que l’hypocrisie sociale imprimât son sceau déprimant sur son cœur, Térenti n’était plus… Et Andreï se sentit tout seul et tout meurtri, au milieu des hommes qu’il sentait hostiles ou indifférents.

Mais l’obligation où il se trouva de mettre en ordre les affaires de son père fut pour lui une diversion salutaire.

Puis, se posa ce problème troublant : que deviendrait-il ? Alors, Andreï se souvint de sa vie dans le Sud, et il la regretta. Et il songea : — Pourquoi ne pas retourner là-bas, libre, pour toujours ?

Il vendit la ferme, transporta les livres de son père chez une vieille amie, réfugiée polonaise exerçant l’humble profession de sage-femme à Oran, et, toutes dettes payées, il eut quelques dizaines de mille francs pour réaliser son projet.

Il retourna s’agenouiller pieusement sur la tombe sans croix du vieux philosophe, dans un petit cimetière, sur une petite colline dominant la baie de Mostaganem…

Et il partit.