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les prisons à Sétif, à Constantine, ici à Philippeville. Puis, on m’a embarqué sur un navire, et on m’a mené en Corse. Au pénitencier où nous étions presque tous musulmans, on n’est pas trop malheureux, avec l’aide de Dieu et si on se conduit bien. Mais c’est toujours la prison, et loin de la famille, en pays infidèle. Grâce à Dieu, on m’a libéré.

C’est beaucoup, trois mois !

— Tu regrettes, maintenant, d’avoir tué cet homme ?

— Pourquoi ? J’étais dans mon droit, puisqu’il m’avait tué ma jument, à moi qui ne lui avais jamais fait de mal ! Seulement, je n’aurais pas dû m’enfuir.

— Alors, ton cœur ne se repent pas de ce que tu as fait, Amara ?

— Si je l’avais tué sans raison, ce serait un grand péché.

Et je vis que, sincèrement, le Bédouin ne concevait pas, malgré toutes les souffrances endurées jusque-là, que son acte avait été un crime.

— Que feras-tu, maintenant ?

— Je resterai chez mon père et je travaillerai. Je ferai paître notre troupeau. Mais si jamais, la nuit, dans le maquis, je rencontre l’un de ceux des Ouled-Ali qui m’ont fait prendre, je le tuerai.

À tous mes raisonnements, Amara répondait : « Je n’étais pas leur ennemi. Ce sont eux qui ont semé l’inimitié. Celui qui sème des épines ne peut récolter une moisson de blé. »