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MERLIN L’ENCHANTEUR.

sur les grands chemins d’Allemagne, d’Italie, de France ; tu n’as pas daigné abaisser tes regards sur elles quand tu les as rencontrées.

J’avais mis dans ces fleurs le parfum de ce bouquet enivrant que je tenais à la main le jour, le triste jour de ton départ ; tu as respiré ce parfum sans même te souvenir de moi. Est-ce là ce que tu m’avais juré ?

Avoue que tu as rencontré quelque jeune fille dans tes pèlerinages. Tel que je te connais si bien, tu as voulu d’abord la faire servir innocemment à tes enchantements, puis, à ton insu, tu te seras enchanté toi-même. Voilà, n’est-il pas vrai, ce qui est arrivé. Merlin, Merlin, est-ce de moi que tu crois te jouer ? Insensée celle qui pense te retenir, après que je ne l’ai pu moi-même !…

Tu allais m’échapper, j’ai mieux aimé briser.

Dis-moi, au moins, comment elle est, celle qui tient ton cœur en ce moment ? Ses yeux, ses cheveux, sa taille, son air, son pays, sa langue, je veux tout savoir !

Pourquoi ai-je aimé une chose aussi légère qu’un enchanteur ! Ah ! que tu m’en as cruellement punie, Merlin ! J’étais si calme, si rieuse quand je t’ai connu ! Et maintenant comme tout est changé !

Ne vois-tu pas les tristes brumes se soulever comme des linceuls au lever du jour qui n’a plus d’aurore ? N’entends-tu pas le gémissement des grandes eaux dans les forêts ? et tout cela ne te dit-il plus rien ? Qui donc a fermé tes yeux et endurci les oreilles ? Ne sens-tu pas que je pleure ? Peux-tu voir les gouttes de pluie tomber dans l’étang solitaire et ne pas te souvenir de moi ?