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LIVRE XIV.

de la perfection. Il réussit fort bien à altérer la langue, mais, dans le reste, il échoua. On le vit prendre une espèce de guzla, à trois cordes, sur lesquelles il promena au hasard un petit archet. D’abord il avait l’intention sincère de n’assembler que des mots. Mais, soit le lieu, soit la circonstance, soit que la fatalité pesât sur lui, il se laissa entraîner à prononcer une vingtaine de vers, dans lesquels il y avait quelques images ingénues ou même énergiques de têtes coupées conversant avec les éperviers aux ailes d’or, le tout formant un ensemble plein à la fois d’inspiration et de grandeur sauvage.

« Arrêtez ! s’écria Polictète que l’envie dévorait. Arrêtez ! j’ai entrevu une pensée, un sentiment dans vos vers. »

Æthion s’en défendit avec indignation.

« Je n’ai pas eu la moindre idée, je le jure, poursuivait-il ; je n’ai pensé en rien.

— Si vous ne l’avez fait, repartit Polictète avec plus d’aigreur, vous l’avez du moins laissé croire. Il est trop tard pour s’en dédire.

— C’est donc sans l’avoir voulu, » dit Æthion.

Beaucoup d’autres s’essayèrent après lui. Aucun ne fut plus heureux. Tantôt leurs voix s’élevaient comme une plainte du vent dans un champ d’asphodèles, tantôt un soupir sortait de leur poitrine, et même à leur insu. D’autres fois les paroles qu’ils prononçaient en souriant éveillaient malgré eux de lointains échos. Bref, nul ne put s’élever à cet idéal parfait du vide, du sonore, du précieux, qu’ils poursuivaient avec tant de zèle. Les