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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ment. L’imitation était de même préférée à l’invention, le savoir-faire au génie, l’hiver au printemps, la mort à la vie. Mais rien ne l’étonna plus que le ton nasillard de l’hymne. Il ne put s’empêcher d’en faire la remarque à son plus proche voisin qui se trouva être Æthion, duc de Béotie :

« Pourquoi tous ici chantez-vous du nez les cantiques à la divinité ?

— Belle question ! Ne savez-vous pas que c’est là le mode byzantin ? Rien n’est plus religieux.

— Pourtant…

— Non, interrompit Æthion. Ne me parlez pas de vos voix jeunes, fraîches, évaporées, qui seraient une injure en face des ruines. Nous avons adopté et ordonné le chant nasillard parce qu’il a en lui une sénilité qui convient parfaitement à la décrépitude de nos empires.

— J’aurais dû le comprendre, » dit Merlin.

Ce dialogue fut interrompu au moment où se fit, sur l’autel, une offrande solennelle de toiles d’araignées.

L’hymne fini, les jeux recommencèrent. Ce n’était ni le ceste, ni la lutte, ni l’arc, ni la course, ni le disque, ni le grossier pugilat, ni le char fumant dans la carrière. Le premier jeu consistait à renverser une des colonnes du temple. Elle avait été élevée jadis par des mains grossières à la Bonne Foi.

Sertorius, roi de Libye, se présenta le premier pour disputer le prix. De ses bras nerveux il enlaça l’arbre de pierre. Longtemps on crut que la colonne allait fondre sur lui, et déjà les visages des esprits des ruines