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LIVRE XIII.

enchanteur tout-puissant qui est l’auteur de mes maux. Non, encore un coup !… Toi seule as ait le mal, ta volonté, ton endurcissement, ton aveuglement.

En y pensant mieux, je crois que je vous hais ; mais la haine me fait plus de mal encore que l’amour.

À qui, Viviane, ne m’avez-vous pas sacrifié ? À quelle futilité ? à quelle crainte puérile ? Tantôt à un nuage curieux qui arrivait gonflé sur votre tête en toute hâte, tantôt à un mauvais rêve. Une fois vous étiez retenue par l’opinion que prendraient de vous les stupides roseaux ; une autre fois, disiez-vous, par le murmure subit du vent qui entr’ouvrait la porte, ou même encore par le bavardage des pies ; et ainsi perpétuellement ajourné, le bonheur n’arrivait jamais pour moi. Que penseront, que diront les cigales ? C’était là votre grande et sérieuse inquiétude dans les bois. Et si je disais qu’il n’y avait pas de cigales, vous trouviez quelque abeille égarée sous les tilleuls. Combien de fois ce mot m’a gâté toute joie dans notre solitude, moi qui ne songeais qu’à m’enivrer d’un baiser éternel ! Vous aviez toujours à votre service quelque petite maxime empruntée à la cour de votre marraine, et un pli de roses sur les lèvres pour désespérer la félicité même.

Malgré cela, Viviane, si jamais nous devons nous revoir, je souhaite que vous soyez seule : la présence d’un témoin quelconque, fût-ce même un sylphe ou un cobold, m’offenserait comme un soupçon indigne de moi. Cependant ceci vous est subordonné comme le reste. Adieu !